Au-delà des confinements

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Pour une gestion résiliente de la pandémie



Par Normand Mousseau – 1er avril 2021

La réponse des autorités à la pandémie de la COVID-19, centrée étroitement sur ce seul problème sanitaire, a eu des effets démesurés sur l’ensemble de la société, des effets qui se feront sentir durant de nombreuses années. En s’appuyant sur une gamme beaucoup plus large d’expertises, il aurait pourtant été possible de déployer des stratégies visant à mieux protéger les plus faibles et l’ensemble de notre économie, tout en augmentant la résilience à long terme de notre société. Il n’est pas trop tard pour s’y mettre, avant la prochaine crise.


Depuis mars 2020, on a beaucoup répété qu’avec la pandémie du SRAS-Cov 2, la science avait pris l’avant de la scène dans les orientations politiques des divers gouvernements. Rarement, les dirigeants de la santé publique ont reçu une écoute aussi attentive de la part des élus, alors que médecins, épidémiologistes et microbiologistes se sont taillé une place de choix sur la scène médiatique d’un très grand nombre de pays.

Dans trop d’endroits, dont le Québec, la science, considérée comme pertinente pour répondre à la pandémie, a toutefois été réduite à une poignée de disciplines médicales. Même alors, celles-ci ont été souvent mises de côté au profit des apparences et des solutions de « gros bon sens » poussées par des commentateurs et des intervenants dont les opinions reprenaient trop rapidement les positions les plus alarmistes, sans égard à l’impact réel sur la pandémie ou sur le fonctionnement général de la société, comme je l’explique plus largement dans un essai publié récemment Pandémie, quand la raison tombe malade (Les éditions du Boréal, 2020), qui propose une réflexion critique à propos des enjeux profonds que la crise sanitaire a révélés sur le fonctionnement et la communication de la science, la lourdeur des appareils d’État, le rôle des médias, le comportement des élus et la place des plus vulnérables dans les orientations politiques.

En restreignant ainsi l’appel aux connaissances et aux compétences, de nombreux pays et territoires se sont privés d’expertise et de savoir importants en génie, en architecture, en psychologie et en gestion de crise, par exemple, qui auraient permis de concevoir et de déployer des mesures plus sereines et pérennes, contribuant à contrôler la pandémie tout en minimisant les dommages collatéraux.

Alors que la distribution des vaccins laisse espérer une issue positive à la crise, plusieurs zones d’ombre persistent soulignant l’importance de continuer à explorer d’autres façons de gérer la pandémie.
 

Des connaissances suffisantes pour agir efficacement

Sous de nombreux aspects, la pandémie qui a bouleversé la planète depuis mars 2020 présente des particularités inusitées qui ont forcé les autorités à agir sans avoir toutes les informations pertinentes et sans toujours pouvoir s’appuyer sur des précédents suffisamment proches pour éclairer l’ensemble des décisions.

Les informations manquantes ne sont toutefois pas celles auxquelles on songe d’abord. Ainsi, comme le rapportait encore une fois l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) dans une analyse publiée en décembre 20201, l’essentiel des connaissances en ce qui concerne la propagation de la maladie n’a guère changé depuis les premières observations faites dans les premiers mois de 2020 : le virus se propage essentiellement par contact rapproché (1 mètre) et prolongé (15 minutes). Il ne se propage pas, ou de manière anecdotique, via contact de surface. Quant à la transmission à plus longue portée, celle-ci ne se produit que dans des circonstances bien particulières qui sont relativement bien comprises.

Aussi, le débat sur la propagation par gouttelette ou par aérosol, qui continue de faire couler beaucoup trop d’encre aurait dû être réservé aux spécialistes. Il émerge avant tout d’une classification largement arbitraire qui a peu d’assises physiques. Il est évident que lorsqu’on respire ou qu’on parle doucement, les émissions de particules se font sur de plus courtes distances et les gouttes produites risquent moins d’être morcelées. Par contre, lorsqu’on crie, qu’on chante ou qu’on tousse, on peut s’attendre à plus de matière émise sur un spectre plus large, dispersant les particules sur de plus longues distances et permettant à celles-ci de se maintenir en suspension durant plus longtemps.

C’est pourquoi, comme l’a compris le Japon dès le mois de février 2020 en s’inspirant des leçons du Diamond Princess, la ventilation et les protections physiques telles que les plexiglas, sont généralement plus importantes que le masque, particulièrement lorsqu’on séjourne dans un endroit pendant plusieurs heures où dans des conditions qui nous forcent à respirer plus profondément.

Grande inconnue de la première vague, l’immunité acquise par la contamination est confirmée depuis au moins l’été 2020, même si les cas de recontamination montrent que celle-ci n’est pas parfaite. Peu a été fait, toutefois, avec cette information qui a semblé déranger les experts et qui, aujourd’hui, explique peut-être l’efficacité annoncée des vaccins.
 

Des questions qui demeurent

Bien sûr, plusieurs questions médicales liées à la COVID-19 sont encore ouvertes, partiellement ou même complètement. Ainsi, malgré les nombreuses études de la dernière année, il n’existe toujours pas de traitement efficace contre la COVID-19, ce qui s’explique par les limites de la médecine contemporaine, mais aussi les rigidités du système, qui ont ralenti de nombreuses études, malgré l’urgence de la situation. Persistent également les questions quant aux effets à long terme de la maladie sur les patients, mais auxquelles seul le temps pourra répondre.

Les plus grandes inconnues, toutefois, sont de nature beaucoup plus sociale que médicale et concernent la stratégie adoptée pour lutter contre la pandémie.

Le nombre de décès liés à cette maladie, mais aussi les dommages collatéraux causés aux plus démunis de la société, à des secteurs cruciaux de la société, tels que la culture et l’économie en général, suggèrent que les épidémiologistes ainsi que les spécialistes de la santé publique, dans de nombreux pays, ont largement failli à leur tâche2. Ils se sont montrés incapables, pour la grande majorité, de concevoir des stratégies qui auraient limité l’impact du virus tout en permettant à la majorité de la population de poursuivre une vie aussi normale que possible.
Au contraire, trop souvent, la vision tunnel de ces experts a mené à des mesures brutales, incohérentes et profondément inéquitables qui ont causé des dommages importants, souvent inutiles et même contre-productifs, qui prendront des années à réparer.

Depuis le début de la pandémie, beaucoup de ces experts, souvent très présents dans les médias, n’ont cessé de demander des mesures de confinement toujours plus sévères de la part des autorités, ignorant à la fois les mécanismes de transmission, la réaction des citoyens face aux mesures et les dommages collatéraux causés par ces mesures3.

Bien que les études définitives soient encore à produire, les analyses partielles présentent un tableau désolant de l’iniquité fondamentale de celles-ci. Parmi les premiers touchés, bien sûr, ce sont les plus pauvres de la société, ceux enfermés dans des logements trop petits, souvent en mauvais état, mais, lorsqu’ils avaient un emploi, plus à risque de s’exposer au virus de par leur travail extérieur et de contaminer leurs proches.

Les femmes, surtout les mères, mais aussi les proches aidantes ont aussi été frappées beaucoup plus fortement que les hommes par les mesures de confinement et la fermeture de secteurs ciblés de l’économie. S’occupant majoritairement des enfants en confinement ou en quarantaine, occupant des postes de première ligne dans le système de santé, affectées directement par la fermeture des secteurs de l’hospitalité et de la culture ou faisant du télétravail tout en s’occupant des enfants, celles-ci ont payé chèrement des décisions portées majoritairement par des hommes. Des hommes qui disposent de revenus supérieurs à la moyenne et sont beaucoup moins touchés par les mesures qu’ils ont mises en place, comme le montrent les statistiques du travail.

Les jeunes ont aussi été durement touchés durant la crise sanitaire. Bien que peu affectés par la maladie elle-même, ils ont souvent été ciblés directement et indirectement par de fortes mesures de contrôle malgré leurs besoins grégaires et affectifs plus grands. Forcés de porter la responsabilité de protéger les plus vieux, ils ont pourtant été parmi les premiers à perdre leur emploi, souvent à temps partiel, dans les secteurs commerciaux ou de l’hospitalité, sans nécessairement pouvoir avoir recours aux aides gouvernementales. Les jeunes devront également porter de manière démesurée l’immense fardeau économique créé par la pandémie et sa gestion, un fardeau qui pourrait en plus ralentir la transformation nécessaire afin de limiter le réchauffement climatique. Au final, les jeunes auront possiblement à payer au moins trois fois les coûts de la pandémie.
 

Des dommages collatéraux trop négligés

Malgré un appui populaire impressionnant, l’approche de Québec pour gérer la pandémie est largement un échec : la province se classait, en janvier 2021, au premier rang des provinces au Canada et au 21e rang mondial en nombre de décès par habitant4. La surmortalité pour 2020, qui dépasse le simple nombre de décès liés à la COVID-19, suggère aussi que les dommages collatéraux causés par les faiblesses du système de santé ainsi que, vraisemblablement, par l’ensemble des mesures de répression qui ont ajouté à la détresse psychologique et financière de nombreux citoyens, bien que largement ignorés par les autorités, ont été importants. Ces données, rapportées par le démographe Robert Choinière, dans une analyse comparative du taux de mortalité en 2020 dans plusieurs territoires et pays, contrastent, par exemple, avec la Suède, qui montre une baisse significative de la mortalité, lorsqu’on enlève les décès liés à la COVID-19, possiblement associée à une réponse beaucoup plus posée à la crise sanitaire5.

Bien sûr, l’origine de ces différences importantes devra être analysée plus en détail au cours des prochaines années. Les données brutes sont tout de même suffisamment claires pour forcer le débat sur l’efficacité globale de l’approche québécoise, fondée essentiellement sur le resserrement constant des contraintes, à l’exception des quelques mois d’été, où les autorités ont fait preuve d’un peu d’audace pour chercher des modes de vie adaptés à la pandémie.
 

Négliger les changements structuraux

Alors que l’étau est constamment resserré sur les citoyens et les secteurs économiques liés aux services personnels, à l’hospitalité et aux commerces, le gouvernement a largement failli à se transformer pour réduire les risques systémiques liés et à améliorer la réponse de l’État à la crise.

Les messages répétés par le gouvernement du Québec depuis le début de la pandémie soulignent que les mesures sanitaires visaient avant tout à protéger le système de santé, qui, avec un budget de 45 milliards $ — plus de 5000 $ par citoyen — en 2019, représente 43 % des dépenses de portefeuilles du gouvernement. Car, malgré ces ressources plus que considérables, ce système, conçu pour répondre aux besoins de 8,5 millions de citoyens, semble d’une fragilité de verre : il est poussé au bord du précipice avec seulement 1500 patients atteints de la COVID-19 hospitalisés, dont 250 aux soins intensifs, forçant l’arrêt de l’essentiel de ses activités électives.

Comment expliquer, alors, que le gouvernement ait déployé si peu d’effort pour s’attaquer au cœur du problème : la sous-performance du secteur de la santé?

Bien sûr, dès les premiers jours, la crise sanitaire a permis des transformations significatives dans le fonctionnement de celui-ci. En quelques semaines, par exemple, le gouvernement a levé les blocages administratifs liés à la consultation à distance et forçant une gestion beaucoup plus efficace des rendez-vous afin d’éviter de remplir les salles d’attente, des mesures qui ont servi à la fois le personnel de la santé et les patients.

Des rigidités importantes sont restées, causées en partie, mais pas uniquement, par la forte centralisation imposée par la réforme Barrette : le contrôle du système par les médecins, la place démesurée occupée par les hôpitaux dans les superstructures régionales ainsi que le corporatisme des ordres professionnels et des syndicats qui limitent considérablement la capacité du système à se réinventer. Ces rigidités ont considérablement freiné la capacité des acteurs sur le terrain à s’organiser, à tester de nouvelles façons de faire et, de manière générale, à augmenter la productivité de ce secteur névralgique.

Pourtant, le gouvernement a largement évité de s’attaquer à ces blocages, faisant plutôt porter par les citoyens et certains secteurs économiques moins organisés, la responsabilité de la pandémie.
 

D’autres voies étaient possibles

Des pays tels que le Japon, la Corée du Sud et la Suède, chacun adoptant une stratégie différente, ont plutôt visé, dès le début, à préserver un quotidien le plus normal et prévisible possible pour leurs citoyens, évitant les restrictions à cran des libertés. Si aucune stratégie n’a offert de protection parfaite, celles-ci, sur la durée, se sont montrées surprenamment résilientes pour peu qu’on aille au-delà des gros titres de la presse internationale qui soulignent les problèmes sans offrir de contexte. Ainsi, les « deuxièmes vagues » rapportées dans les médias en Corée du Sud ou au Japon n’ont rien à voir avec ce qu’on a vécu au Québec ou au Canada.

Pour suivre le même chemin, le Québec aurait dû se tourner vers d’autres expertises que celles qu’il a impliquées depuis le début la pandémie.

Ainsi, le déploiement d’une véritable stratégie de traçage aurait nécessité l’implication de spécialistes de la logistique, des technologies de l’information, mais aussi de psychologues et de juristes qui auraient pu, ensemble, proposer une approche efficace améliorant la collaboration des citoyens à la recherche des contacts.

De même, des ingénieurs et des architectes auraient pu valider les mesures visant à couper la propagation du virus sans éliminer les contacts physiques tant dans les commerces que les restaurants, les industries et les lieux d’enseignement et éviter la multiplication des mesures coûteuses ou restrictives qui n’apportent pas de gain significatif dans un contexte où règne la distanciation physique.

Finalement, dans le secteur de la santé, le gouvernement aurait pu réunir, dès le début de la pandémie, des représentants de l’ensemble des acteurs pour faciliter l’innovation, la répartition des tâches, augmenter l’efficacité du système et éviter l’allongement démesuré des listes d’attente qui prendront des années à se résorber.

Nous aurions pourtant eu tout à gagner de travailler à concevoir une approche de fond appuyée par un savoir et des compétences diversifiés visant à mieux protéger les plus faibles et des pans entiers de notre économie, tout en augmentant la résilience à long terme de notre société. Ce choix, en ce début de XXIe siècle, est une grande perte pour tous, car ce n’est pas tant les crises qui déterminent une société que sa réponse à celles-ci.
 

Notes 

1   Geneviève Anctil et coll., Transmission du SRAS-CoV-2 : constats et proposition de terminologie, Institut national de santé publique du Québec, 9 décembre 2020.https://www.inspq.qc.ca/sites/default/files/publications/3099-transmission-sras-cov-2-constats-terminologie-covid19.pdf

2   Il est important de reconnaître que ce ne sont pas tous les spécialistes qui ont eu voix au chapitre et plusieurs ont dû suivre les exigences et les orientations qui leur ont été imposées, malgré leurs doutes ou leur avis. 

3   Je n’ai pas la place, ici, pour discuter des limites méthodologiques qui ont facilité cette vision tunnel. Ces limites, qui proviennent en bonne partie de l’importance accordée à la modélisation numérique dans le domaine de l’épidémiologie, sont expliquées en détail dans mon livre.

4   Site de WorldMeters: https://www.worldometers.info/coronavirus/

5   Robert Choinière, Comparaisons santé: Québec/Canada/OCDE. https://comparaisons-sante-quebec.ca
 



Normand Mousseau est professeur de physique à l’Université de Montréal et directeur de l’Institut de l’énergie Trottier à Polytechnique Montréal. Il poursuit des travaux en physique des matériaux et en biophysique et mène, avec plusieurs collaborateurs, des projets visant à identifier des molécules capables de limiter la propagation de la COVID-19. Très impliqué dans les enjeux à l’interface entre science et société, il est l’auteur de plusieurs livres sur la santé, l’énergie, les ressources naturelles et la gestion de la réponse à la crise climatique
 





 


Commentaires



 

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26 juin 2021

Sujet magnifiquement traité. Félicitation. J'appuie la position d'une vision d'ensemble de la problématique, sur l'intelligence de l'ensemble des acteurs, pour une vision commune et des solutions portes et partagées.

Par Michelle Bédard

Dernière révision du contenu : le 31 mars 2021

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